Confusion autour de la vente d'un terrain à bâtir

La 1ère Chambre Civile de la Cour d’Appel d’AMIENS vient de rendre un arrêt dont les incidences pourraient être d’une portée fondamentale.

Pour des questions se rapportant précisément au caractère constructible ou pas d’un terrain vendu (1), tout autant que pour des raisons d’ordre juridique pouvant être entendues bien plus généralement que sur la seule question des terrains à bâtir (2).

 

****

1/  L’affaire concerne la vente par une Commune, d’un terrain appartenant à son domaine privé.

Il s’est avéré en pratique,  que la Commune venderesse avait préalablement à la vente, établi et délivré un certificat d’urbanisme positif, c’est-à-dire précisant qu’il était possible de construire sur la parcelle mise à la vente.

Les acquéreurs ont après coup, souhaité édifier leur maison sur le terrain qui avait donc été préalablement défini comme étant constructible.

La Commune est cependant revenue sur sa décision de considérer le terrain comme constructible en délivrant finalement a posteriori, un certificat d’urbanisme négatif motivé par la situation du terrain en lisière du village dans une zone où les constructions n’avaient normalement qu’un usage agricole.

Au mépris des droits des acquéreurs nécessairement lésés et trompés par la situation d’une part pour n’avoir pas pu construire et réaliser leur projet, par ailleurs, pour avoir acquis au prix fort un terrain de fait replacé dans sa situation agricole antérieure au certificat initial.

Compte-tenu de cette difficulté, les acquéreurs ont installé une procédure devant le Tribunal Administratif pour faire censurer la décision de la Commune ayant considéré finalement que son terrain ne devait plus être constructible.

Le Tribunal Administratif  d’AMIENS puis la Cour Administrative de DOUAI ont rejeté les prétentions des acheteurs, maintenant donc la situation du terrain dans son caractère non constructible décidé par la Commune après la vente.

Les acquéreurs ont donc pris la décision d’assigner leur venderesse aux fins de résolution de la vente pour défaut de conformité, à défaut et subsidiairement, d’annulation de la vente pour erreur dite « sur la substance ».

Il s’est agi de saisir le Tribunal de  Grande Instance pour faire casser la vente alors que celle-ci avait eue  comme condition déterminante précisément le caractère constructible du terrain.

Le Tribunal de Grande Instance d’AMIENS a rejeté la demande qui lui était présentée.

Avec opiniâtreté, les acheteurs ont poursuivi et après un long combat, ont fini par obtenir un arrêt de la Cour d’Appel d’AMIENS du 4 décembre 2018, annulant purement et simplement la vente intervenue, condamnant la Commune qui l’avait vendu, à restituer le prix de vente du terrain outre condamnation à indemniser les acquéreurs des frais restant à charge.

Sur le fond, l’arrêt de la Cour est important en ce qu’il n’autorise pas une Commune ayant délivré un certificat d’urbanisme positif avant la vente d’un terrain appartenant à son domaine privé, à revenir sur le caractère constructible de ce dernier.

Cet arrêt devrait faire jurisprudence  car il fige en pratique, le droit d’une personne publique à retirer le caractère constructible d’un terrain décrit antérieurement à la vente comme constructible et à n’en pas douter, les incidences de cette décision devraient être marquantes sur les politiques à conduire par les Communes à l’occasion des ventes par elles consenties des terrains relevant de leur domaine privé.

****

2/  L’arrêt de la Cour d’Appel d’AMIENS est plus important encore sur le sujet de la prescription pour lequel il a été tranché.

La Cour de Cassation avait jusque-là pris des positions de principe excluant la possibilité d’un cumul des actions dites en nullité pour erreur et en garantie des vices cachés, lorsque les erreurs constatées étaient la conséquence d’un vice caché.

Il existe en pratique pour l’acquéreur trompé, notamment deux solutions pour faire annuler ou résoudre une vente, le tout devant d’ailleurs être entendu d’une façon générale, c’est-à-dire quel que soit l’objet de la vente (immeuble ou meuble).

La première option consiste à actionner le vendeur en nullité pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue.

Cette action suppose que l’acquéreur montre qu’il a été trompé dans les caractéristiques essentielles de ce qu’il a acheté, ce qui était le cas en l’occurrence puisque les acquéreurs avaient bien intégré que le terrain qui leur avait été vendu par la Commune elle-même, était un terrain constructible, précisément parce que la Commune l’avait décrit comme tel.

Cette action est prescrite par cinq ans, ce qui signifie qu’il n’est plus possible de saisir le Tribunal en annulation, une fois passé le délai de cinq ans suivant le certificat d’urbanisme.

La deuxième solution offerte aux acquéreurs, est d’agir en garantie des vices cachés, ce qui en pratique revient plus ou moins au même, à ceci près que l’action en garantie des vices cachés est enfermée dans un délai de deux ans, donc beaucoup plus court que l’action classique en annulation pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue.

En première instance, le Tribunal de  Grande Instance  avait considéré  l’action des clients que le cabinet défendait, comme prescrite, en estimant que seule la garantie des vices cachés était applicable au litige.

C’était particulièrement injuste.

Tout simplement parce que les acquéreurs n’avaient pas conscience au moment où ils auraient dû le faire, du caractère irréversiblement et définitivement non constructible du terrain vendu par la Commune.

Il faut rappeler que leur procédure devant le Tribunal Administratif  et la Cour Administrative d’Appel avait duré un certain temps et que le sort de leur contentieux destiné à rendre le terrain constructible était en suspens, de sorte que le délai de deux ans auquel ils étaient assujettis, ne pouvait pas être respecté si l’on prenait comme point de référence de départ, le certificat d’urbanisme négatif délivré après la vente.

L’arrêt de la Cour d’Appel d’AMIENS remet de l’équité et de la cohérence juridique sur la situation des acheteurs en estimant que chaque action (garantie des vices cachés ou action en annulation), doit être examinée selon ses conditions propres et en jugeant que l’existence d’un vice caché n’exclut pas par lui-même la possibilité d’invoquer l’erreur sur une qualité substantielle de la chose vendue.

Aussi, la Cour d’Appel d’AMIENS a-t-elle retenu comme une partie de la Doctrine (les Professeurs de Droit), que la position jusque-là adoptée par la Cour de Cassation risquait de réduire de fait, la nullité pour erreur à une portion congrue dans le contrat de vente.

La Cour d’Appel d’AMIENS a ajouté que les deux actions soit en nullité, soit en garantie des vices cachés, avaient nécessairement un domaine commun, dès lors que le vice caché doit être antérieur à la vente et rendre la chose impropre à l’usage auquel on la destine.

Cette décision a une portée considérable car elle affirme le principe de l’indépendance des deux actions dont naturellement, la genèse est identique.

Elle ouvre surtout aux acquéreurs un droit de contestation beaucoup plus important puisque moins limité dans le temps.

Sachant que la position de la Cour d’Appel concerne toutes les ventes susceptibles de déboucher sur un contentieux où il existe une alternative entre l’option de la garantie des vices cachés ou de l’annulation pour erreur sur les qualités substantielles, cette jurisprudence est très importante et aura nécessairement des incidences pratiques tout à fait significatives à l’avenir.

Membre du réseau PRIMAJURIS, réseau d'avocats indépendants choisis pour leur sérieux et répartis sur l'ensemble du territoire.

logo primajuris